Remy Maduit | Authors published
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Des gardes prétoriennes aux armées nationales*
de Rémy Mauduit
Le plus grand service qu’ils [le corps des officiers] peuvent rendre est de rester fidèles à eux-mêmes, à servir avec silence et courage dans la voie militaire. S’ils abjurent l’esprit militaire, ils se détruisent d’abord et finalement leur nation.
–Samuel P. Huntington. [1]
Au lendemain des indépendances, les nouvelles autorités politiques africaines ont fait de l’armée le symbole par excellence de la souveraineté. La création d’une armée dans les nouveaux états apparut comme un symbole de souveraineté, un moyen d’assurer la défense et l’intégrité du territoire et une fondation pour l’édification nationale. Mais bien vite, l’institution militaire se dévoya, vicia le processus de construction d’un état de droit, étouffant dans divers pays toute forme de vie politique, sociale et économique au service du peuple. S’écartant de sa mission classique qui consiste à garantir la souveraineté et à préserver l’intégrité du territoire, l’armée insidieusement s’imposa comme instrument du pouvoir. Les armes, au lieu des urnes, deviennent la modalité la plus sûre pour s’assurer le contrôle de l’état : le coup d’état comme « violence fondatrice » d’un nouvel ordre devient la norme. Il est symptomatique qu’en Afrique un coup d’état réussi est presque toujours accueilli avec enthousiasme par les populations victimes de l’ordre ancien, trompées par les promesses de la junte pour plus de démocratisation et de développement.
Plusieurs présidents ont accédé au pouvoir par un coup d’état. Ils savent que sans la fidélité des militaires, leurs pouvoirs sont éphémères. Par conséquent, ils donnent beaucoup de moyens aux brigades de sécurité présidentielle, et aux autres unités d’élite, dont le commandement est confié aux proches du président. Ces unités sont constituées souvent par le même clan, par la même ethnie, par le même parti. L’armée devient non seulement un moyen de conquête mais de maintien au pouvoir, protégeant davantage les régimes que les états, et générant une corruption affectant tous les échelons du commandement. Ainsi, plus d’un demi-siècle après les indépendances et à l’exception d’une poignée de pays ayant de réelles capacités militaires, aucune armée africaine, ou presque, n’est en mesure de défendre son propre territoire national. L’institution militaire perd alors sa fonction constitutionnelle de protecteur des citoyens et devient une force sécuritaire quasi privée qui protège un système dont elle tire bénéfice ; une garde prétorienne. La population civile, dont les droits et les devoirs constitutionnels lui donnent le contrôle des militaires, est souvent devenue l’objet et la victime de la dictature armée. Ce renversement des rôles a eu des conséquences désastreuses sur la stabilité politique et le développement des nations. Le fait qu’aujourd’hui encore certains dirigeants du secteur de la sécurité soient prêts à tirer sur des civils non armés confirment bien qu’ils continuent de penser que leur devoir est de défendre le régime au pouvoir plutôt que la constitution, ce qui va à l’encontre même des codes de conduite militaire de base et des normes démocratiques.
Il s’avère clairement que le contrôle démocratique du secteur de la sécurité est essentiel pour l’état de droit. Cela peut différer d’un état à un autre quant aux objectifs immédiats, mais les buts et les principes sont les mêmes : transparence et responsabilité. Il n’existe en effet aucun état dans l’histoire où les militaires sont totalement séparés de la structure politique, mais l’objectif est de disposer de vraies forces armées et de sécurité, efficaces dans l’accomplissement de leurs tâches constitutionnelles et soumises aux décisions d’une gouvernance civile et transparente. Les pays africains tentent de restructurer et de professionnaliser leur armée, leur police et leurs services de renseignements, mais la réforme des armées africaines passe d’abord par la bonne gouvernance des états. Les partenaires internationaux ont un grand rôle à jouer dans ces réformes. L’Afrique n’est pas menacée par une invasion militaire d’autres pays étrangers au continent. Il est aussi peu probable que des guerres interétatiques aient à nouveau lieu. Or, les armées sont préparées à des guerres classiques par les forces occidentales alors que les vraies menaces sont de nature terroriste. La formation sécuritaire doit adresser le terrorisme qui gagne du terrain en Afrique. L’aide militaire substantielle à des états qui n’ont d’ennemis que leur propre peuple constitue l’une des anomalies des relations internationales et paradoxalement, les cinq membres permanent du conseil de sécurité des nations unies, garant de la paix et du développement, sont responsables de la majorité des ventes d’armes, directement ou indirectement, destinés à ces états, sans souci de la manière dont elles seront utilisées.
Les partenaires internationaux doivent se concentrer davantage sur la gouvernance et la responsabilité en général dans l’éducation des officiers africains ou au moins tout autant que « la formation et l’équipement militaires ». Plus spécifiquement, les partenariats en matière de sécurité doivent favoriser les pays plus démocratiques parce qu’ils ont plus de chances de contribuer à la stabilité régionale. Finalement, l’état de droit : même si certains coups d’état contre un régime devenu impopulaire et dictatorial sont acceptés par les populations et la communauté internationale, elles demeurent anti constitutionnelles. Il n’y a pas de coups légitimes alors que d’autres ne le sont pas. Même si l’intervention militaire permet dans certains cas d’instaurer une autorité civile démocratique en organisant les élections après le coup d’état, cela est condamnable a priori car c’est retomber dans l’inconstitutionnalité dont l’Afrique doit se libérer.
* Cet éditorial a été initialement publié dans Air and Space Power Journal–Africa and Francophonie de l’U.S. Air Force Research Institute.
[1] HUNTINGTON, Samuel P., « The Soldier and the State. The Theory and Politics of Civil-Military Relations », Cambridge, MA: The Belknap Press of Harvard University Press, 1985, p. 466. Traduit de l’anglais en français par l’auteur.
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