Remy Maduit | Authors published
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Écologie, sécurité et conflits armés en Afrique*
de Rémy Mauduit
Comme une maladie… une détérioration de l’environnement, surtout lorsqu’elle se combine à d’autres facteurs de stress, tels que la pauvreté, la globalisation, une mauvaise gouvernance, l’inégalité et les migrations en masse, peuvent saper des sociétés, causer des guerres civiles et mettre des états en faillite.
—William Mansfield, 2009
L’histoire est pleine d’exemples dans lesquels une raréfaction des ressources et une dégradation de l’environnement contribuèrent à susciter des conflits, voire même à conduire à l’effondrement de sociétés et de civilisations – dont certains remontent aux origines de l’histoire écrite.[i] Parmi ces exemples, on peut citer entre beaucoup d’autres certaines populations de Mésopotamie et du Moyen Orient, les Mayas d’Amérique Centrale, les Khmers d’Asie du Sud-est et les Anasazi du sud-ouest des États-Unis. Comme l’observe Mary Ellen O’Connell, « Dans les années 1970, les dirigeants japonais furent les premiers à suggérer que la sécurité nationale va au-delà de la protection contre les menaces militaires traditionnelles. Ils le firent à un moment où les dirigeants [américains] faisaient pression sur eux pour qu’ils dépensent plus sur la sécurité. Les dirigeants japonais soutenaient que l’argent dépensé pour la protection de l’environnement ou des sources de denrées alimentaires et d’énergie devrait également être considéré comme contribuant aux dépenses de sécurité nationale. »[ii] Cette connexité entre l’environnement, la sécurité et les conflits armés illustre parfaitement la situation de nombreux pays africains.
Des rapports complexes entre écologie et conflits existent en Afrique. Un environnement dégradé peut réduire les chances de paix durable et mettre en danger dans l’avenir les moyens d’existence des populations. D’après Peter Gleick, « Là où l’eau est rare, la rivalité à propos de réserves limitées peut conduire des groupes, des collectivités voire même des pays à considérer l’accès à l’eau comme une question extrêmement préoccupante. »[iii] Il y a toujours un risque de voir une diminution de ressources et une dégradation de l’environnement entraîner une région dans un cycle infernal de pauvreté, d’instabilité politique, de conflits armés, de dégradation croissante de l’environnement et d’aggravation de la pauvreté.
En Afrique, les problèmes sociaux, économiques et écologiques sont le plus souvent étroitement liés. La dégradation de l’environnement ou la raréfaction des ressources peuvent potentiellement déclencher des conflits violents susceptibles d’engloutir une région entière et de menacer sa stabi[1]lité. La Corne de l’Afrique en est un exemple parmi de nombreux autres : « [C’] est… une région dévastée par une dégradation de l’environnement qui se manifeste sous de nombreuses formes : déforestation, érosion et salinisation des sols, aridification, désertification [et] perte de biodiversité. C’est également une région de conflits endémiques menés à de nombreux niveaux : étatique, régional, national, religieux, tribal et clanique. »[iv] Un autre exemple est celui de la République démocratique du Congo (RD Congo) : « [La RD Congo] s’enorgueillit d’une abondance de minerais de grande valeur [mais] le pays a été ravagé par la violence liée aux diamants, les maladies, la famine et les guerres tribales qui se sont soldées par plus de cinq millions de morts. Depuis les années 1990, les armées rebelles opérant dans la RD Congo ont exploité de petits gîtes diamantifères et canalisé les profits ainsi dégagés vers des activités insurrectionnelles. »[v]
La question des causes de conflits violents en Afrique a fait l’objet d’une attention particulière de la part des spécialistes et a donné lieu à de nombreux débats universitaires aux cours des dernières années :
“L’hypothèse traditionnelle selon laquelle les conflits violents en Afrique résultent de différences ethniques, religieuses ou culturelles souffre de graves limitations. En dehors des « vieux » conflits, les dichotomies ethniques semblent être une conséquence plutôt qu’une cause de conflits violents. Les dichotomies ethniques, religieuses et culturelles ont toutefois une force considérable quant à la façon dont les populations perçoivent les conflits. Ces perceptions sont celles de nombreux combattants des deux camps. Cependant, plus un conflit dure, plus ces facteurs ethniques, religieux et culturels entrent en jeu. Dans un vieux conflit, quand même les causes initiales ont partiellement ou totalement disparu, cette ethnicité idéologique « abstraite » devient une force matérielle et sociale active.”[vi]
Dans la plupart des cas tels que ceux du Soudan, du Rwanda et de la Somalie, la rivalité à propos du contrôle de ressources rares à des moments de dégradation de l’environnement semble s’abriter derrière l’ethnicité. Les questions écologiques deviennent extrêmement politisées ; en réalité, la situation occasionne une lutte entre les élites pour le contrôle de l’état. « Les conflits violents figurent parmi les plus graves menaces pesant sur la sécurité des hommes en Afrique. Les guerres menées en Afrique ont causé des destructions massives aux infrastructures du continent, déplacé des millions de personnes, perturbé les moyens d’existence et endommagé gravement l’environnement. »[vii] D’après les estimations de la Banque Mondiale, les conflits violents qui se déroulèrent en Afrique dans les années 1990 conduisirent systématiquement à une perte nette de deux pourcent de croissance économique annuelle.[viii]
Aujourd’hui, la plupart des états africains s’efforcent sérieusement d’empêcher les conflits violents sur le continent. L’Union africaine a pris des mesures pour encourager la paix et la sécurité en établissant le Conseil de paix et de sécurité, qui a reçu mandat, entre autres, de servir de « mécanisme d’alerte rapide facilitant une réaction efficace en temps opportun aux situations de conflit et de crise en Afrique. »[ix]
Les efforts que fait le Commandement Afrique des États-Unis (United States Africa Command – AFRICOM) pour apporter le développement durable et la sécurité humaine à l’Afrique devraient avoir pour objectif plus large de « conquérir les cœurs et les esprits » afin d’empêcher un soutien de l’extrémisme et du terrorisme religieux. De même que, pendant les années 1990, les spécialistes suggéraient que l’OTAN pourrait « placer la dégradation de l’environnement dans la même catégorie que les pénuries de pétrole, les idéologies agressives ou la prolifération des armements », l’AFRICOM pourrait adopter cette perspective.[x] Il devrait également accorder une haute priorité à deux défis connexes : l’enseignement et les enfants africains. En fait, « chaque année de scolarité réduit le risque de conflit de 20 pourcent environ. »[xi] Un autre problème dont souffre le monde, l’Afrique en particulier, est l’emploi croissant de jeunes enfants comme soldats – un des développements les plus déplorables de ces dernières années. En 1996 déjà, l’UNICEF estimait que, pendant la décennie écoulée, on comptait parmi les enfants victimes :
• 2 millions de morts ;
• 4–5 millions d’invalides ;
• 1,2 million de sans abri ;
• plus d’un million d’orphelins ou d’enfants séparés de leurs parents ;
• quelque 10 millions d’enfants traumatisés psychologiquement.[xii]
A la lumière de l’énormité même des souffrances que ces conflits ont causée aux enfants, il est difficile de rester sans émotion.
Cet éditorial a été initialement publié dans Air and Space Power Journal–Africa and Francophonie de l’U.S. Air Force Research Institute.
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[i] Jared Diamond, Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies [Canons, microbes et acier : les destins des sociétés humaines] (New York: W. W. Norton, 1997).
[ii] Mary Ellen O’Connell, «Conflict and the Environment» (Conflits et environnement), critique de Conflict and the Environment, sous la direction de Nils Petter Gleditsch, Human Rights Quarterly 22 (2000) : 1099, http://muse.jhu .edu/journals/human_rights_quarterly/v022/22.4oconnell.pdf (consulté le 8 mars 2010).
[iii] Peter H. Gleick, The World’s Water (L’eau du monde), 1998–1999 (Washington, DC: Island Press, 1998), 108.
[iv] John Markakis, “Environmental Degradation and Social Conflict in the Horn of Africa” (Dégradation de l’environnement et conflits sociaux dans la Corne de l’Afrique), in Environment and Conflicts Project (Projet environnement et conflits), sous la direction de Kurt R. Spillmann et Günter Bächler, ENCOP Occasional Papers (Zurich/Berne, Suisse : Center for Security Studies, ETH Zurich/Swiss Peace Foundation, 1992–95, [111].
[v] «Conflict Diamond Issues» (Questions relatives aux diamants du sang), Brilliant Earth, http://www.brilliantearth .com/confict-diamond-trade (consulté le 9 mars 2010)
[vi] Mohamed Suliman, “Resource Access: A Major Cause of Armed Conflict in the Sudan: The Case of the Nuba Mountains” (L’accès aux ressources : une cause majeure de conflits au Soudan. Le cas des Monts Nouba) (communication présentée lors de l’atelier international sur la gestion locale des ressources naturelles [International Workshop on Community-Based Natural Resource Management]), Washington, DC, 10–14 mai 1998), http://srdis.ciesin.columbia.edu/cases/Sudan-Paper .html (consulté le 9 mars 2010).
[vii] Training Course on Regional and International Cooperation in the Field of Security and Peace Policy, Development Diplomacy Programme (Cours de formation sur la coopération régionale et internationale dans le domaine de la politique de sécurité et de paix, programme de diplomatie du développement), Kofi Annan International Peacekeeping Training Centre, http://www.inwent.org/imperia/md/content/bereich2-intranet/abteilung2-03/inwent_kaiptc_ddp_course_descrip tion.pdf (consulté le 9 mars 2010).
[viii] Banque Mondiale, Economics of Crime and Violence Project (projet sur les aspects économiques du crime et de la violence) (Washington, DC : Banque mondiale, 10 avril 1999).
[ix] «Meeting the Challenge of Conflict Prevention in Africa: Towards the Operationalization of the Continental Early Warning System» (Relever le défi de la prévention des conflits en Afrique : vers l’opérationnalisation du système d’alerte rapide à l’échelle du continent), Union africaine, http://www.africa-union.org/root/ua/Conferences/decembre/PSC/17-19%20dec/home-Eng .htm (consulté le 9 mars 2010).
[x] O’Connell, “Conflict and the Environment”, 1100.
[xi] Paul Collier, «Doing Well out of War» (Bien réussir hors de la guerre) (communication préparée pour la con[xi]férence sur les intentions économiques dans les guerres civiles (Conference on Economic Agendas in Civil Wars), Londres, 26–27 avril 1999), 5.
[xii] «Children in War» (Les enfants dans la guerre), in UNICEF, The State of the World’s Children (La situation des enfants dans le monde), 1996 (New York: UNICEF, 1996), http://www.unicef.org/sowc96/1cinwar.htm (consulté le 9 mars 2010).
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