Remy Maduit | Authors published

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La contre-insurrection est morte. Quoi d’autre ?*
de Remy Mauduit

Ici, le 26 Juillet 1972, la Royal Thai Army a brûlé tous ses manuels américains. À partir de cette date notre victoire sur les communistes.
— Inscription au-dessus de l’incinérateur au siège de l’armée Royale thaïlandaise.

Les combats tirent à leur fin en Afghanistan et, tout comme en Irak, de sérieuses questions ont été soulevées quant à la valeur et au but de la contre-insurrection (COIN). On se souvient du slogan «  plus de COIN  » des années 1970 après la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, le retour d’expérience (REDUX) devrait nous dire encore une fois que de telles guerres doivent être évitées, mais il est peu probable que nous serons en mesure de les éviter à l’avenir, pas plus que nous les avions évitées dans le passé. Ainsi, nous devrions réfléchir sérieusement à la cause fondamentale de la forme la plus fréquente de conflits : l’insurrection.

Compte tenu du nombre impressionnant d’ouvrages consacrés à la contre-insurrection, à l’abondance de nouvelles études sur d’anciennes guérillas, des doctrines, des retours d’expérience ainsi que de l’expérience de ceux qui, dans le passé, ont mené des opérations d’insurrection (très peu) et de contre-insurrection (trop nombreux), nous est-il possible de mieux appréhender l’asymétrie1  ? L’intérêt pour ce phénomène de l’insurrection se résume à deux questions  : 1) qu’est-ce qu’une insurrection  ? et 2) une armée professionnelle peut-elle défaire une insurrection s’appuyant sur le peuple du pays où se déroule l’insurrection ?

Les désaccords abondent sur pratiquement tous les aspects de l’insurrection armée, y compris sur sa définition. De toute évidence, petite guerre, longue guerre, guerre irrégulière, guerre asymétrique, terrorisme, insurrection, contre-insurrection, et ainsi de suite, ne définissent pas le problème. L’insurrection englobe tout ce qui précède et plus encore. Elle agit le long de plusieurs grandes lignes d’opérations et les changements entre ces lignes suggèrent des changements dans la stratégie des insurgés ou peuvent être interpréter comme un autre type de conflit. Le type de guerre que l’insurrection choisie s’adapte et dépend de l’environnement où le soutien populaire est situé.

Mais l’insurrection est, tout d’abord, un peuple partageant les mêmes griefs. Une formule subjective fondée sur la conviction que dans une insurrection, il y a un nombre égal de personnes pour et contre l’insurrection, et la majorité de la population étant neutre, prête à être convertie, imprègne encore les théories et les doctrines contre-insurrectionnelles. Une telle formule est le fruit d’une approche académique bureaucratique et d’une simplification excessive par certains praticiens militaires, basée sur une pratique peu réaliste et formée dans un environnement différent de ce que l’on observe dans une insurrection. Une telle croyance a des ramifications énormes qui ont affecté les contre-insurrections menées par les puissances occidentales. Une telle formulation est très arbitraire si elle n’est pas douteuse pour les raisons suivantes :

1. Il est pratiquement impossible de segmenter un peuple en catégories en raison du secret que s’impose une insurrection et qu’elle impose au peuple. Pour acquérir des données qui permettent une telle segmentation nécessitent une intelligence COIN qui dépasse la capacité du service de renseignement dans un environnement insurrectionnel.

2. La mobilisation de la population dépend entièrement du besoin de l’insurrection à un moment et à un endroit précis et des objectifs à long terme ou à courte durée.

3. La déception, étant la force d’une insurrection, la population pourrait être structurée de manière à jouer le jeu des soi-disant « neutres » et des collaborateurs pour gagner la confiance de l’ennemi et devenir ainsi le support de la logistique de l’insurrection. Certaines personnes sont même encouragées à prendre les armes contre les insurgés et former des « villages amis », sources de renseignement, de munitions et de centres de repos pour les insurgés.

4. Il est judicieux d’assumer que l’insurrection a le soutien de toute la population partageant les mêmes griefs, à quelques exceptions près.

La cause fondamentale d’une insurrection est un ensemble de griefs communs, profondément enracinés, qui deviennent des prétextes à une insurrection. L’insurrection prend forme et se développe si les chefs réussissent à établir un lien entre le mouvement d’insurrection et les solutions aux revendications de la population. Par conséquent, les conflits qui se développent au sein de la population civile souscrivent aux idées clés telles que la justice et la liberté. Les insurgés mènent leurs actions dans un contexte expressément révolutionnaire, dont le grand objectif est un changement radical de la situation présente par l’emploi de la subversion et de la lutte armée.

Une insurrection tire sa force de l’absence d’un « centre de gravité », un concept enseigné dans les écoles militaires occidentales. La notion de centre de gravité de Carl von Clausewitz s’est déplacé vers une trilogie révolutionnaire : 1) la volonté de la population est le centre de gravité stratégique ; 2) la volonté de l’insurgé de continuer à combattre est son centre de gravité opérationnel ; et 3) la multitude de cellules de base d’une organisation clandestine sont les centres de gravité tactiques. Ces centres tendent à être imbriquées mais autonomes et secrets, d’où l’élimination de tout centre de gravité, à n’importe quel niveau, ne peut pas contribuer à la chute des autres, assurant ainsi la survie de l’insurrection, peu importe le nombre de batailles perdues et le nombre de morts. De toute évidence, le désir de vouloir gagner « les cœurs et les esprits » de la population dans une insurrection devient une illusion dangereuse, une acculturation, une naïveté et une myopie stratégique.

L’objectif d’une armée professionnelle est de gagner les guerres ; l’insurrection semble avoir faussée la donne. Les forces armées occidentales engagées dans une COIN ont subi des défaites ou s’en sont « sortis stratégiquement ». Annoncée par de nombreux experts comme la seule victoire militaire sur une insurrection, la Malaisie représente en fait un cas lancé à grand matraquage par ces mêmes experts, selon le Dr Andrew Mumford : « Une campagne de contre-insurrection qui a pris douze ans à éradiquer un groupe d’insurgés isolé, n’est pas la réussite éclatante et peu digne des louanges académiques qu’elle a engendrées ».[1] Max Boot résume la COIN en observant que « La longue histoire des conflits de faibles intensités se révèle non seulement comme une omniprésente guérilla mais aussi combien de fois son importance a été ignorée, ouvrant ainsi la voie à d’autres humiliations aux mains de partisans déterminés  ».[2]

Alors, quoi d’autre ? Si nous persistons que l’insurrection est une affaire militaire, nous devons la combattre avec des moyens militaires spéciaux qui sont exempts d’insipides doctrines, de commandements bureaucratiques empâtés et de soi-disant experts, c’est à dire la combattre avec toute la puissance militaire et les équipements et main-d’oeuvre appropriés tels que le renseignement, les forces spéciales et la puissance aérienne. Nous pourrions faire mieux que ce que nous avons fait jusqu’à présent.

L’ « insurrection préventive » serait un meilleur choix. Si les gouvernements non représentatifs sont les créateurs de griefs, nous devons « agressivement » encourager nos alliés et amis autocratiques à changer leurs systèmes. Et si cela échoue, comme dans le cas de Hosni Moubarak en Egypte, nous devrions soutenir ouvertement les insurgés afin de limiter les effusions de sang et empêcher la prise de contrôle du pays par le segment extrémiste de la population. Finalement, nous devrions aider à construire des états-nations modernes où le peuple est souverain.

* Cet éditorial a été initialement publié dans Air and Space Power Journal–Africa and Francophonie de l’U.S. Air Force Research Institute.


[1] MUMFORD, Andrew, Puncturing the Counterinsurgency Myth: Britain and Irregular Warfare in the Past, Present, and Future, Advancing Strategic Thought Series. Carlisle Barracks, PA : Strategic Studies Institute, US Army War College, septembre 2011, p. 15, www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pubs/download.cfm?q=1086. 3.

[2] BOOT, Max, “The Evolution of Irregular War: Insurgents and Guerrillas from Akkadia to Afghanistan”, Foreign Affairs, mars/avril 2013, www.cfr.org/afghanistan/evolution-irregular-war/p30087.

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