L’Afrique, est-elle à la croisée des chemins ?

Remy Maduit | Authors published

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L’Afrique, est-elle à la croisée des chemins ?*

de Rémy Mauduit

Personne ne connait l’histoire de la prochaine aube
Pensée Yoruba

Du début des années soixante aux années quatre-vingt-dix, la croissance rapide et l’industrialisation des premières régions en voie de développement en Asie – Hong Kong, Singapour, la Corée du Sud et Taiwan (les « Tigres Asiatiques ») – a fasciné le monde. Au début du XXIe siècle, cependant, l’attention s’est tourné vers les nouvelles puissances économiques en gestation, les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Tout comme les Tigres Asiatiques, les pays BRIC sont non seulement en bonne voie dans leur expansion économique mais, de surcoît, ils ont des marchés locaux énormes.

Par contre, les trainées des SIDA, guerres civiles, génocide, corruption, coups d’état, inégalité et insécurité ainsi que les taux élevés de pauvreté infestent le continent et, de ce fait, projètent une lueur négative sur l’Afrique. Néanmoins, les changements vertigineux des derniéres années nous donnent de bonnes raisons d’être optimistes quant au futur de l’Afrique. En effet, nous sommes peut-être en train d’assister à la naissance des « Lions Africains ».

Plusieurs des 53 pays dans ce continent hétérogène affrontent des défis politiques, sociaux, et économiques considérables. Certains connaissent encore une sévère pauvreté, des maladies et des guerres civiles. Dans ce contexte, quel est le futur de l’Afrique dans la mondialistaion ? Comment le continent peut-il devenir économiquement viable et compétitif ? Le continent peut-il produire sa part de Tigres Asiatiques et de pays semblables à ceux du BRIC – les Lions Africains ?

Quelques chiffres publiés dans une étude récente éditée par McKinsey Global Institute peuvent nous éclairer sur les progrès de l’Afrique :[1]
* $1.6 trillions : Le PIB (produit intérieur brut) collectif de l’Afrique en 2008, grosso modo égal à celui du Brésil ou de la Russie…. Le continent est parmi les régions à croissance la plus rapide au monde.
* $860 milliards : Les dépenses de consommation combinées de l’Afrique en 2008.
* 316 millions : Le nombre d’inscriptions de nouveaux abonnés au téléphone portable en Afrique depuis 2000.
* 60 pour cent de la superficie mondiale des terres non-cultivées et arables [en Afrique]…. Avec [cette superficie de] terres arables, à bas rendements de récolte du monde, l’Afrique est mûre pour « une révolution verte », comme celles qui ont transformé l’agriculture en Asie et au Brésil…. [Une telle revolution] serait colossale, elle relèverait les revenus agricoles, elle stimulerait la croissance du PIB, et créerait de nouvelles opportunités commerciales.
* 52 : Les villes africaines avec plus d’un million de personnes chacune. * 20 : Le nombre de compagnies africaines avec des revenus d’au moins $3 milliards. ASPJ Afrique & Francophonie – 3 e trimestre 2010 4
* $2.6 trillions : Le PIB collectif [projection] de l’Afrique en 2020.
* $1.4 trillions : Les dépenses de consommation de l’Afrique [en] 2020…. Les cinq plus grands marchés de consommations du continent en 2020 – Alexandrie, le Caire, Cape Town, Johannesburg et Lagos – aurait chacun plus de $25 milliards de dépense par année. Ces villes sont comparables en grandeur à Mumbai et à New Delhi.
* 1.1 milliards : Le nombre d’Africains en âge de travailler [en] 2040…. La main-d’œuvre africaine augmente plus rapidement que n’importe où dans le monde. Le continent a plus de 500 millions de personnes en âge de travailler (15 à 64 ans). D’ici à 2040, il est projeté que ce nombre dépassera les 1.1 milliards – plus qu’en Chine ou en Inde.
* 128 millions : Le nombre de ménages africains avec un revenu discrétionnaire [en Afrique]. L’Afrique a déjà plus de ménages de classe moyenne (définis par des ménages avec des revenus de $20.000 ou au-dessus) que l’Inde. L’essor du consommateur urbain africain sert comme un nouveau moteur de croissance domestique.
* 50 pour cent : Le nombre d’Africains [qui vivraient] dans les villes en 2030…. En 2030, les 18 villes principales du continent pourraient avoir un pouvoir d’achat combiné de $1.3 trillions….
* En 1980, à peine 28 pour cent d’Africains vivaient dans les villes. Le nombre d’Africains habitant les villes aujourd’hui est de 40 pour cent, un nombre proche de celui de la Chine, et plus grand que celui de l’Inde – cet écart ne fera que grandir .[2]

D’ailleurs, selon l’Institut,
Tandis que les politiques insuffisantes des gouvernements, les guerres et d’autres événements pour[1]raient perturber la croissance de certains pays, notre analyse suggère que les perspectives économiques à long terme de l’Afrique soient tout à fait fortes…. propulsées par des tendances externes de l’économie globale et des changements internes des sociétés et des économies du continent.

Pour commencer, l’Afrique continuera à profiter de la demande globale en hausse du pétrole, du gaz naturel, des minerais, des produits alimentaires, des terres arables, et d’autres ressources naturelles. Le continent s’énorgueillit de son abondance de richesse, y compris 10 pour cent des réserve du monde de pétrole, 40 pour cent de son or et 80 à 90 pour cent du chrome et des métaux du groupe de platine…. L’investissement direct étranger en Afrique a augmenté de $9 milliards en 2000 à $62 milliards en 2008 – presque aussi grand que le flux vers la Chine, mesure relative au PIB.[3]

D’une manière encourageante, la croissance économique de l’Afrique vient non seulement des matières premières et des ressources naturelles, pour lesquelles le continent est bien connu, mais également d’autres secteurs :
Les ressources naturelles n’ont été que de 24 pour cent de la croissance du PIB de l’Afrique de 2000 à 2008. Le reste venait d’autres secteurs, y compris le commerce de gros et de détail [(13 pour cent)], agriculture (12 pour cent), transport et communication [(10 pour cent)], et fabrication [(9 pour cent)]. Dans 27 des 30 plus grandes economies, la croissance économique a été accélérée à travers le continent. En effet, nous constatons que le PIB s’est développé à des taux semblables dans les pays avec ou sans des exportations significatives de resource naturelles….

Les raisons principales derrière la montée subite de la croissance de l’Afrique incluent les décisions des gouvernements de mettre fin aux conflits armés, l’amélioration des conditions macro-économiques et l’adoption des réformes micro-économiques pour créer un meilleur climat économique. Dans chaque pays où ces changements ont été effectués, ils se sont soldés par une croissance plus rapide de PIB.[4]

Pour analyser la croissance en Afrique, McKensey Global Institute rejette la division traditionnelle du continent en Afrique sub-saharienne et Afrique du Nord en faveur d’une classification de l’Afrique sur la base des économies de ses plus grands pays :
1. Les économies diversifiées : Moteurs de croissance de l’Afrique qui incluent quatre économies les plus avancées – l’Egypte, le Maroc, l’Afrique du Sud et la Tunisie. Elles ont des entreprises significatives de fabrication et de secteur tertiaire….

2. Les exportateurs de pétrole : Amélioration de la croissance par la diversification. Les exportateurs du pétrole et du gaz de l’Afrique ont le PIB le plus élevé du continent par habitant mais les moindres économies diversifiées…. Les trois plus grands producteurs [sont] l’Algérie, l’Angola et le Nigéria…. Ces pays ont des perspectives fortes de croissance s’ils peuvent utiliser la richesse du pétrole pour financer le développement de leurs économies….

3. Les économies de transition : Construire sur les gains récents. Les économies de transition de l’Afrique, comprenant le Ghana, le Kenya et le Sénégal, ont un PIB par habitant inférieur à celui des pays dans les deux premiers groupes, mais leurs économies se développent rapidement….

4. Les économies de pré-transition : Renforcez les gains acquis. Les économies de pré-transition [(la République démocratique du Congo, l’Éthiopie et le Mali)] sont très pauvres, avec un PIB annuel par habitant d’à peine $353, mais certains sont en train de se développer très rapidement…. Bien que les différentes économies en pré-transition diffèrent considérablement, leur problème commun est un manque d’élements basiques, tels qu’un gouvernement fort et stable ainsi que d’autres institutions publiques, de bonnes conditions macro-économiques et un développement agricole durable.[5]

Comme la démocratie, cependant, l’économie est une denrée fragile dans l’ensemble de l’Afrique. Nelson Mandela a souligné l’interdépendance de la liberté et de l’économie en Afrique, en déclarant que la « liberté est dénué de sens si les gens n’ont rien à manger ».[6] Dans l’environnement africain, la transformation institutionnelle doit se faire en tandem avec la trans[1]formation économique. L’Afrique, peut-elle tirer profit de son récent sursaut de croissance et profiter en même temps d’un stimulus économique ? Évidemment, plusieurs des 53 différentes économies font face à des obstacles sérieux mais le continent dispose de capitaux considérables : de talentueux Africains et de vastes ressources. Si l’Afrique maintient sa stabilité politique et macro-économique durement gagnée, développe des stratégies saines de croissance, crée un environnement commercial plus attrayant, améliore son infrastructure et ses systèmes de régula[1]tion et institutionnalise une bonne gouvernance, les Lions Africains pourraient rugir à travers tout le continent et le monde entier.

* Cet éditorial a été initialement publié dans Air and Space Power Journal–Africa and Francophonie de l’U.S. Air Force Research Institute.


[1] Les extraits de Lions on the Move: The Progress and Potential of African Economies sont traduits en français par l’éditeur.
[2] Roxburgh, Charles et al., (juin 2010), Lions on the Move: The Progress and Potential of African Economies, Washington, DC: McKinsey and Company, voir les pages non-numérotées, précédent immediatement « Contents » ainsi que les pages 1, 3, 7, 19, 22, 24, http://www.mckinsey.com/mgi/publications/progress_and_potential_of_african_economies/pdfs/ MGI_african_economies_full_report.pdf. 3. Id., 1, 3. 4. Id., 2, 11. 5. Id., 5–6.
[3] Id., 1, 3.
[4] Id., 2, 11.
[5] Id., 5–6.
[6] Cité dans Bratton, Michael et Mattes, Robert (juillet 2001) « Support for Democracy in Africa: Intrinsic or Instrumental? », British Journal of Political Science 31, no. 3, p 447.

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